Martin Dahinden, directeur de la Direction du développement et de la coopération (DDC), l'agence officielle de coopération et d'aide au développement de la Confédération suisse, a publié le 18 mars 2011 dans Le Temps une tribune intitulée "Malgré les critiques récurrentes, la microfinance est un outil efficace". Martin Dahinden a confiance dans l'avenir d'un système soutenant des millions de foyers pauvres et de petites entreprises.
Comme la Suisse du XIXè siècle...
La microfinance permet à des millions de foyers et de petites entreprises de se sortir de la misère. Pour la Direction du développement et de la coopération (DDC), cet instrument reste essentiel pour le développement économique et social. Mais la microfinance n'est pas non plus la panacée. Récemment, les critiques se sont multipliées et nous nous devons de les écouter.
Si, en Suisse, l'accès à l'épargne, aux assurances, aux systèmes de transfert d'argent ou au crédit est une évidence, ce n'est pas le cas pour les populations défavorisées des pays en développement. Mais même les banques et assurances helvétiques ne se sont pas faites en un jour. Le système des banques Raiffeisen a été fondé pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, dans le but d'offrir aux familles pauvres et rurales une alternative à l'endettement auprès de prêteurs locaux, en encourageant l'épargne et en facilitant l'accès au crédit à des conditions «équitables». A la même époque, face au manque d'intérêt des banques d'affaires pour les petites et moyennes entreprises, les revendications politiques du mouvement démocratique ont donné naissance aux banques cantonales.
Comme dans la Suisse du XIXe siècle, l'accès aux services financiers est aujourd'hui d'une grande utilité pour les foyers pauvres et les petites entreprises des pays en développement, qui peuvent ainsi se constituer des réserves pour subvenir à leurs besoins en période de disette et financer des achats importants ou des investissements. L'épargne et les assurances permettent de mieux faire face aux conséquences matérielles des maladies, des mauvaises récoltes ou d'autres risques. La microfinance va donc beaucoup plus loin que le microcrédit.
Depuis les débuts de la coopération au développement, les initiatives favorisant le financement du développement et la mise sur pied de systèmes bancaires jouent un rôle important. Après quelques essais infructueux, les premiers modèles d'épargne et de crédit économiquement viables ont vu le jour dans les années 80. Assortis d'une palette de services novateurs et soutenus par des projets pilotes gérés avec sérieux, ces modèles ont prouvé que les foyers pauvres et les petites entreprises étaient capables d'épargner et de rembourser leur crédit. Aujourd'hui, le Bangladesh et l'Inde comptent chacun 30 millions de clients pauvres, dont la majorité sont des femmes, qui ont accès à des services financiers. Les établissements financiers que la DDC soutient dans le monde servent plus de 8 millions de clients et de clientes.
Malgré cela, les taux «équitables» et l'efficacité de la microfinance sont toujours contestés, même dans les milieux politiques. Les services financiers aident-ils vraiment les pauvres à sortir de la misère? Qu'apportent-ils aux femmes ?
La commercialisation débridée de la microfinance
Les critiques fustigent les excès d'une commercialisation débridée de la microfinance. Au terme d'une phase de lancement, les établissements de crédit et caisses d'épargne que soutient l'aide suisse au développement sont eux aussi censés être efficaces et couvrir leurs coûts. Ils doivent s'affranchir de l'aide au développement et offrir durablement une large palette de services financiers à un maximum de clients. Mais la commercialisation n'est pas sans danger. On le voit clairement depuis quelques mois, avec la crise de la microfinance et ses conséquences politiques dans l'Etat fédéral indien d'Andra Pradesh. Une concurrence malsaine sur un marché du crédit en progression exponentielle a conduit à des octrois de crédits incertains. D'où un surendettement de nombreux petits emprunteurs et une rupture généralisée des remboursements.
Cette évolution repose notamment sur les stratégies des investisseurs et des établissements de microfinance, qui visent avant tout la croissance rapide avec un maximum de rendement à la clé. Cette politique, dont le seul but est de faire fructifier la vente de crédits, a pour effet le surendettement des clients pauvres. Elle néglige complètement le service à la clientèle, la qualité de l'épargne et le développement à long terme d'établissements financiers solides. Le manque de transparence dans l'établissement des taux d'intérêt, auquel s'ajoutent des taux de remboursement et d'intérêt aberrants, nuit à la réputation de la microfinance et sape la confiance des clients. De plus, différentes évaluations ont relativisé l'impact et les attentes excessives posées à la microfinance.
Des mesures doivent donc effectivement être prises, ne serait-ce que pour éviter de faire le lit du populisme et prévenir les excès de zèle du législateur, dont les clients de la microfinance font les frais. Mais ces controverses planétaires soulignent aussi l'importance économique et politique des systèmes financiers. L'«industrie de la microfinance» brasse aujourd'hui des milliards. Dans ce secteur, les gestionnaires de fonds domiciliés en Suisse sont parmi les premiers au monde. Là aussi, les promoteurs de la microfinance devraient se poser des questions.
Prendre en compte les critiques de la microfinance
Malgré toutes ces critiques, personne ne peut contester l'apport que représentent les caisses d'épargne, les assurances et les services de transfert d'argent et de crédit de qualité professionnelle. Dans de nombreux pays du Sud, l'offre de services financiers adaptés aux besoins est encore rudimentaire. L'État indien d'Andra Pradesh représente à cet égard un cas d'école: 82% des ménages ont contracté plusieurs dettes auprès de prêteurs privés et s'acquittent de remboursements bien supérieurs aux taux d'intérêt des établissements de microcrédit. L'épargne est peu développée et représente encore trop rarement une source de refinancement.
Pour la coopération suisse au développement, les établissements de microfinance restent donc des rouages essentiels du développement économique et social des pays. A eux seuls, ils ne suffiront certes pas à éradiquer la pauvreté, mais ils représentent un pas important en ce sens. L'objectif pour les années à venir est donc de continuer à développer l'accès, la diversité et l'efficacité des services financiers dans les régions défavorisées et parmi les populations pauvres. Parallèlement, les critiques de la microfinance, qui se justifient, doivent être prises en compte, notamment dans la sélection et le suivi des partenaires du Sud, de l'Est et de Suisse, sur la base de conventions sans équivoque.
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